Note: pour comprendre l'origine du livre de Lann, consulter : http://laton.free.fr/dotclear/index.php/Lann qui lui même trouve son origine dans http://sok.muse.free.fr/muse/node4.html

La 184ème décénnie marqua une nouvelle ère de déchéance pour les disciples de Lann. Leur nouveau bourreau se nommait alors Daguerre. Encore une fois, les disciples de Lann crurent d'abord à une avancée spectaculaire pour leur ouvrage. Pouvoir rajouter l'image aux écrits du peuple était somme toute un apport considérable dans leur embrassement du nom de Dieu. Un nouvel ordre fut créé, qui avait pour tâche de récuppérer les daguerrotopes divers et variés que les gens prennaient aux quatre coins du "monde civilisé". La déchéance aurait pourtant pu être évitée si ce "monde civilisé" avait écouté, une fois n'est pas coutume, les minorités "non civilisées". En effet, les nombreuses peuplades primitives de l'époque reconnurent dès le départ l'effet pervers de l'invention de Daguerre. Pour eux, ce procédé de capture d'image ne se réduisait pas à une simple recopie d'un monde réél à partir d'une capture de photons, non, cela, ils ne l'appréhendaient pas du tout, par contre le fait que l'âme du sujet de la photographie soit également capturée, ça, ils le saisirent immédiatement. Nombreux furent les hommes civilisés à avoir été scalpés pour avoir osé prendre en photo un des indigènes. Ces derniers arrêtèrent malheureusement leurs réprésailles quand ils se rendirent compte qu'ils n'avaient pas la connaissance pour inverser le phénomène, et comme le monde qui leur avait apporté ce nouveau fléau avait depuis longtemps coupé la communication avec les esprits, personne ne leur prêta attention, et "l'Image" poursuivit sa longue cavale au fil des décennies. Le procédé gagna en popularité au fur et à mesure que la technologie le rendait accessible au plus grand nombre. L'ordre de l'Image y était pour beaucoup pour cette vulgarisation. Chaque photo prise représentant pour eux une facon de décrire le monde à travers les yeux de son auteur, ils accumulèrent les diverses épreuves dans des colossales bibliothèques, chacune représentant en quelque sorte une page du livre de Lann. L'ordre participa également à la mise au point des procédés d'images mobiles et sonores. La vidéo, petite soeur de l'Image, gagna ses lettres de vulgarisation aux alentours de la 200ème décennie. Le monde entra alors dans l'ère de ce qu'on appelait le Multimédia, monde étrange où l'image était reine. Peut importait le contenu, l'ordre de l'Image poursuivait son oeuvre méticuleuse de stockage du divin. Des vacances, des naissances, des accidents, des tsunamis, des scènes de la vie quotidienne, tout était prétexte à devoir être immortalisé, à être couché sur sur un support. La folie multimédia s'empara de l'humanité toute entière, et l'ordre en était satisfait.
Le glas sonna lorsque la Pyramide du Louvre s'écroula, et que de nombreux autres monuments historiques la suivirent quelques années plus tard. Les indiens avaient en effet bien compris que le procédé de capture d'image ne se contentait pas de reproduire la partie visible de l'iceberg, non il capturait aussi la partie immergée. Attention, les objets inanimés ne possèdent pas à proprement parler d'âme, tout comme les êtres vivants d'ailleurs, mais ils font tous parti du processus de création qui débuta par le souffle divin. Quand Dieu insuffla la vie au premier homme, le processus de création démarra alors, de même que le processus de partage d'âme. Oui, tout être possède une même âme issue de ce premier souffle, tout être partage l'âme divine. Et ce partage est transitif, toute création de l'homme, animée ou non, fait partie de la chaîne et reçoit sa part d'âme divine. Celà rejoint la première pensée de Lann: "il faut appeler Dieu par son nom". Quand un disciple fait acte de création en ajoutant ses pensées au livre, c'est une part de l'âme divine qui est alors transmise.
La Pyramide du Louvre s'écroula car les nombreux touristes lui avaient volé son âme. Il ne faut pas voir dans cette vision raccourcie un processus rapide, mais bel et bien une usure de l'âme du bâtiment. Quand une personne ressent la beauté d'une oeuvre, elle réagit ainsi du fait de la part d'âme divine qui a été transmise par le processus de création. Il en va de même pour les êtres vivants, ils sont sensibles aux charmes d'une personne à cause de la part d'âme divine qu'elle détient. Ce phénomène permet au processus de création animale de se poursuivre éternellement.
Le procédé de la photographie connu un engouement planétaire du fait de l'infime portion d'âme capturée par la photo, permettant ainsi à son auteur de pouvoir ramener avec lui une part de l'émotion ressentie face au sujet photographié. Que ce soit le Louvre ou le sourire de la petite nièce, les hommes d'alors affectèrent énormément de pouvoir ainsi retrouver une partie de leurs sensations. Le problème des monuments historiques, c'est que leur durée de vie est beaucoup plus longue que celle des hommes, et que leur potentiel de capture d'âme en est exponentiellement différent. En effet, un sujet animal est peu sujet à la capture de son âme au fil du temps, mais la Pyramide du Louvre ne peut en dire autant. Les millions de touristes qui chaque années ne purent s'empêcher de capturer une portion de l'âme du bâtiment, le vidèrent de son attrait. Au fur et à mesure que l'âme de l'édifice se faisait piller, l'engouement du public pour l'édifice diminuait et finît par devenir quasi nul. Le bâtiment tomba alors en ruine. Celà n'alerta d'abord personne, après tout, de nombreuses civilisations avaient laissés, au fur et à mesure de leur histoire, de nombreuses ruines. Ce qui alerta l'humanité fût la quasi simultanéité de l'apparition de ces ruines, et ce, même pour des édifices censés avoir été bâtis selon les nouvelles modes artistiques de l'époque. La capture exponentielle des touristes sur les oeuvres épuisait comme jamais cela n'avait été le cas auparavant l'âme insufflée aux créations. L'Image, reine de cette nouvelle ère, était en train de tuer l'art.
C'est l'ordre de l'Image lui même qui comprit le phénomène. Il saisit que le pillage d'âme divin ne devait durer plus longtemps à cette échelle si l'on désirait voir se poursuivre l'Art dans son ensemble et ce, pour le bien être de l'Humanité. Les disciples mirent alors au point une sorte de filtre qui permettait de réduire la part d'âme divine capturée. Ils l'imiscèrent dans les usines afin de réduire le nombre croissant des oeuvres se transformant en ruines peu de temps après leur création. Le procédé fonctionna, les oeuvres conservèrent plus longuement leur âme et la cyclicité des ruines retrouva son rythme normal. L'Art retrouva ses lettres de noblesses, et l'Humanité son bien être. Mais le règne de l'image se termina, car les hommes d'alors ne retrouvaient plus dans leurs enregistrements cette part d'âme qu'ils pouvaient emporter avec eux. L'ordre de l'Image perdit alors beaucoup de disciples inconscients. L'Humanité ne faisant plus de photos, ni de vidéos, de nombreux archivistes de l'ordre durent se recycler pour aller eux mêmes effectuer la tâche de prise de vue, mais cela n'avait plus la même saveur. Le livre retrouva alors ses procédés ante-picturaux; le livre reculait une fois encore.