« Dis tonton, pourquoi ils ont vidé l'eau ? »
« Mais ma chérie, c'est l'océan, c'est les marées qui font ça… l'eau avance, puis recule… et ça recommence…»
« C'est la même eau que celle que je bois ? Je l'ai jamais vue avancer ou reculer …»
« Non ce n’est pas tout a fait la même. Celle-ci a le goût de sel, le goût des larmes. »
« Des larmes ? Tu veux dire qu'un grand monsieur était très triste et qu'il a pleuré tout ça ? »
« Non ma chérie, ce n'était pas un grand monsieur, mais une toute petite fille, comme toi.. »
« Comme moi ? »
« Oui, je vais te raconter l'histoire, assied toi, et regarde devant, vers l'océan… »

L'histoire se déroule il y a très très longtemps.
La Terre était partagée en deux grandes parties. D’un côté il y avait beaucoup beaucoup d’eau, et de l’autre beaucoup beaucoup de terres. L’eau était bonne et n’importe qui pouvait la boire.
Les terres qui étaient proches de toute cette eau étaient toutes de vert vêtues, et les gens qui y habitaient étaient heureux, car ils pouvaient boire tous les jours !
Mais les terres qui étaient loin de l'eau étaient très sèches, c'étaient de grands déserts, et les habitants mouraient souvent de soif… Personne n'avait trouvé le moyen d'amener l'eau si loin dans les terres. A chaque fois que les habitants du désert essayaient de la ramener, le soleil tapait si fort, qu'à la fin du voyage, il ne restait plus que quelques gouttes dans le fond des grands seaux et ils pleuraient tous sur leur triste sort …. Sihaya était la plus jeune des petites filles, et aussi la plus triste. Son nom signifiait "printemps du désert", mais comme il n’y avait jamais d’eau, il n’y avait jamais de printemps non plus. Ses parents l’avaient nommée ainsi, en signe d’espoir pour le futur, mais elle, elle se trouvait inutile pour son village, car elle ne pouvait même pas aider les adultes à porter les grands seaux d’eau.
Une nuit, elle fît un rêve où ses yeux ne pleuraient plus des larmes, mais de l'eau qui inondait toute la terre, et qui amenait le printemps à s’installer dans le désert. Elle raconta son rêve à ses parents, et demanda de partir aussitôt vers les grandes étendues d’eau, par delà les terres toutes vertes, afin de ramener l’eau dans le désert.
Les parents étaient très fiers de leur enfant, car quand on avait ce genre de rêve, il se réalisait pratiquement tout le temps. L’ennui était que les rêves étaient des messages codés, et que personne ne comprenait comment elle pourrait réaliser ce miracle. Il lui fallait trouver la clé d’or qui lui expliquerait comment faire, mais la clé d’or n’était jamais facile à trouver non plus. Seule la personne qui avait fait le rêve pouvait la trouver, car elle était cachée quelque part en lui.
Sihaya quitta donc son village en direction des terres vertes, à la recherche de la clé d’or qu’elle espérait trouver en route. Le chemin était long, et comme elle était toute petite, il lui fallait se reposer de temps en temps.
A sa première halte, elle se retrouva face à face avec un renard des sables. Elle savait qu’il fallait se méfier du petit animal, car il utilisait souvent sa ruse à mauvais escient. Le renard lui demanda :
« Qu’est ce que tu fais si loin de ton village ? »
« Je vais chercher de l’eau pour le désert »
« De l’eau, toi ? Tu es bien petite pour un tel travail, et puis tu n’as même pas de seau ! »
« Je n’en ai pas besoin, j’ai fait un rêve où j’inondais tout le désert… une fois que j’aurais trouvé la clé d’or, mon rêve se réalisera ! »
« De l’eau partout dans le désert ??? Non, il ne faut pas !! Je n’aime pas ça moi l’eau, ça me fait plein de boucles dans ma belle fourrure !! »
« Ce n’est pas grave, si tu veux, je te brosserais le pelage chaque jour, comme ça on sera tous contents! Mon village aura de l’eau, et toi tu seras encore tout beau ! »
Sur ces mots le renard murmura quelque chose d’inaudible et se retourna pour filer à travers les buissons. A son regard, Sihaya avait comprit qu’il n’était pas content du tout, mais comme il était parti, elle ne pouvait plus rien lui dire ! Aussi reprit elle la marche.

A sa seconde halte, elle s’endormit et refît le rêve ! Elle se concentra pour bien faire attention à tous les détails. Quand elle se réveilla, elle était toute heureuse car elle pensait avoir trouvé la clé d’or ! Dans son rêve, quand ses yeux laissaient l’eau s’écouler, une belle et grande Lune resplendissait dans le ciel ! La clé d’or ne pouvait donc être que la Lune ! Elle reprit la marche, et attendit que la nuit tombe pour que la Lune pointe son nez. Quand la nuit tomba, elle fît une pause près d’une rivière car elle n’en avait encore jamais vu de vraie. Celles de chez elle étaient toutes asséchées, c’était des rivières de cailloux ! Elle plongea ses pieds dans l’eau et attendit que sa clé d’or fasse son apparition.
Il ne fallut pas attendre longtemps pour que la Lune montre son visage. Sihaya lui demanda alors :
« Bonsoir Madame la Lune ! Etes vous la clé d’or de mon rêve ? »
« Bonsoir petite Sihaya ! Oui, je suis bien la clé d’or de ton rêve, et je vais te révéler comment le réaliser. »
« Merci beaucoup, je vous écoute !! »
« Pour ramener l’eau jusqu'à ton village, il faut que tu fermes les yeux devant de l’eau, et que tu rêves à toute l’eau qui est devant toi. Une fois que ton rêve est bien rempli, tu n’as plus qu’à rentrer chez toi, et une fois là bas seulement, tu pourras rouvrir les yeux, et libérer ainsi toute l’eau que tu auras sût retenir dans le fond de tes yeux. »
« Il faut que je fasse le chemin de retour les yeux fermés ? »
« Ouuui, et si jamais tu ouvres les yeux dans un endroit qui n’a pas besoin d’eau, alors la magie disparaîtra, car elle pensera que le pays qui avait besoin de l’eau n’en a plus besoin ! Il te faut donc bien garder les yeux fermés jusqu’à chez toi !»
« D’accord !! Je vais faire tout ce que vous dites madame la Lune, et je ramènerais l’eau dans mon village ! »
« Je suis sûre que tu y arriveras petite Sihaya, tu n’as qu’à commencer par emprisonner cette rivière pour ton premier essai. Vas-y je t’observe ! »
Sihaya se planta devant la rivière et ferma les yeux. Elle se mît à rêver de la rivière autant qu’elle le pouvait, son village avait besoin de cette eau ! Une fois qu’elle pensa avoir suffisamment d’eau pour un premier essai, elle se retourna et prit le chemin du retour. Elle fît bien attention de ne pas ouvrir les yeux.

Sur le chemin, elle croisa le renard qui lui demanda :
« Tiens te revoilà toi ! Mais pourquoi tu gardes les yeux fermés ? »
« Je retiens l’eau dans le fond de mes yeux, et je ne les rouvrirais qu’une fois chez moi, pour inonder le désert de toute cette eau. »
« Et si tu ouvrais les yeux maintenant, qu’est ce qu’il se passerait ? »
« La magie s’arrêterait, et je ne pourrais plus jamais ramener d’eau dans mon village !! »
Sur ces mots le renard murmura quelque chose d’inaudible et se retourna pour filer à travers les buissons.

Sihaya continua son chemin en faisant bien attention de ne jamais rouvrir les yeux.
Un peu plus loin, elle entendit une voix qui lui demandait :
« Bonjour petite fille, as-tu vu comme je suis beau ? »
« Bonjour monsieur, je suis désolé, mais je ne peux pas ouvrir les yeux »
« Oh comme c’est dommage !! Mes amis m’appellent le renard bleu, car je suis un renard, et j’ai la fourrure toute bleue !! »
« Bleue ? »
« Oui, bleue comme le ciel, tu ne me crois pas ? »
« Non, je ne vous crois pas ! Les renards bleus ça n’existe pas ! »
« Je puis t’assurer que si tu me regardes tu verras ma belle fourrure bleue ! »
Sihaya était très intriguée par le renard bleu, aussi oublia-t elle toute l’eau qu’elle retenait au fond de ses yeux et quand elle les ouvrit pour regarder le renard, toute l’eau se déversa dans la prairie qui était déjà toute verte ! La magie venait d’être rompue ! Et en plus le renard bleu n’était pas du tout bleu C’était le vilain renard du désert qui lui avait joué un sale tour pour pas qu’elle inonde le désert !!
« Méchant renard ! Regarde, à cause de toi, la magie s’est arrêtée, et je ne pourrais plus jamais ramener d’eau à mon village ! »
« Peut être, mais moi au moins je n’aurais pas de bouclettes !! »
Sur ces mots le renard murmura quelque chose d’inaudible et se retourna pour filer à travers les buissons.

Sihaya pleurait toutes les larmes de son corps, elle venait de tout gâcher à cause de ce méchant renard ! Elle retourna près de la rivière, peut être qu’elle pouvait encore emprisonner l’eau dans ses yeux ! Mais cela ne fonctionna pas, ou plutôt ce fût l’effet inverse qui se produisit. Toutes les larmes qui étaient au fond des yeux de Sihaya, se déversaient dans la rivière, changeant l’eau douce en eau salée, une eau au goût de larmes.

La Lune, qui était encore dans le ciel quand le renard s’était joué de la petite Sihaya, décida d’aider la petite fille. Elle changea sa trajectoire céleste pour faire prendre de l’élan à toute l’eau qui était sur Terre. Peut-être qu’avec assez de force, elle pourrait faire avancer l’eau jusqu’au désert, et ainsi amener le printemps comme le voulait Sihaya ! La Lune tourna et tourna autour de la Terre, mais l’eau ne bougeait presque pas. Elle tourna encore, et au fur et à mesure, l’eau avança un peu, puis recula, puis avança encore, et recula.

Aujourd’hui encore, on raconte qu’on peut trouver devant une rivière, une petite fille aux yeux fermés qui pleure toutes ses larmes dans l’eau, ce qui la rends toute salée… Et on peut aussi voir que la Lune continue de tourner pour faire avancer l’eau jusqu’au désert, mais qu’elle n’y est pas encore arrivée ! Mais un jour, la Lune libérera Sihaya, et le renard sera tout bouclé !