Et une de plus. Je la regardais filer de feu Ursa Major à mes pieds, mes poings se contractaient au fur et à mesure de sa descente, la rage m’envahissant inversement à sa course ; ils s’étaient bien moqués de nous…
Depuis une bonne quinzaine de jours, la face du monde s’était transformée. Du moins, elle s’était présentée à nous sous sa vraie forme. Adieu les théories de l’univers, de la galaxie, du système solaire, adieu la probabilité de ne pas être unique, d’être une erreur comme les autres… Toute notre connaissance, soi-disant scientifique, n’était en fait que pure et simple manipulation, et tout cela avait commencé au moins avec Copernic. Copernic ! Plus de 600 ans de mensonges ! Pourquoi avaient-ils décidés de nous faire croire à notre non-exception ? Pourquoi du centre de l’univers nous avaient-ils relégués à une statistique d’incertitude ? Copernic, Galilée, Heisenberg, Einstein et tous les autres : je vous hais ! Je vous hais pour nous avoir bâti un monde où le virtuel était, selon vous, censé nous faire évoluer spirituellement. Vos sciences nous ont tout simplement aliénés à la matière, et nous ont fait perdre le lien avec notre spiritualité naissante.
Aujourd’hui l’homme a finalement retrouvé sa place au centre du monde, comme tous nos anciens nous l’avaient expliqué jadis. Le rideau est tombé lorsque les premières étoiles sont tombées dans nos plaines. La supercherie fut alors démasquée par les plus simples d’entre nous. Une étoile, avec un équivalent d’un made in Taiwan gravé dessus, avait été récupérée dans son champ par un certain Nicolazic, paysan de son état. Une étoile pas plus grosse qu’un poing, mais d’une technologie radicalement différente de la notre, une technologie non matérielle. Une technologie où l’énergie pure était manipulée aussi facilement qu’un sculpteur utilisait l’argile, une technique que même nos délires littéraires sciences fictionnelles n’avaient imaginés. Le terme même de ‘technologie’ ne pouvait vraiment s’appliquer à cette facture.
Puis vous êtes sortis de l’ombre, vous vous êtes révélés à nous, nous, victimes d’un complot achronologique et planétaire… Vous nous avez avoué vos échecs, et votre tentative de manipulation pour faire de nos civilisations une vitrine technologique, afin de lutter contre votre ennui ! Vous avez bâti un monde clos, et une histoire qui allait bien avec. Vous avez intégrés, au fur et à mesure, des cheminements philosophiques et scientifiques afin de nous faire ‘évoluer’ au plus proche de la matière. Vous avez tués nos religions, nos espoirs, afin de nous individualiser en dehors de toutes communautés. Votre but était de rompre chez nous, le modèle social qui vous liait, vous, pour mesurer l’ampleur des relations plurielles et individuelles qui nous unissaient. Pour nous séparer, vous avez utilisé la science, mais vous avez échoué. Notre instinct grégaire était plus fort que vous ne le pensiez, et votre technologie, si performante soit-elle, n’était pas faite pour durer aussi longtemps. Notre corporatisme a eu raison de vous et de vos expériences. Le cadeau que vous nous avez fait nous laisse un goût très amer dans la bouche. Comment rebâtir après vous ! Comment nous désaliéner de la matière, revenir à la source ? On ne peut lutter contre votre progrès et son confort, et pour cela je vous hais. Je vous hais tous. Le spectacle des lumières dans la plaine est votre bouquet final et, malheureusement, le notre également. Les lumières s’éteindront avec nos chutes.